L’intégrale d’Anaïs
Récit d’escalade en grande voie en Ariège à Sinsat
Petit compte-rendu d’un projet de grimpe qui s’est concrétisé le week-end du 26 mai 2017.
Si vous n’avez pas le temps, le courage ou l’envie de tout lire, voici ce qu’il faut retenir
TL;DR : « C’est beau, mais c’est dur. Mais c’est beau. Mais dur… »
Genèse de l’aventure
C’est après avoir lu dans le hors série de Grimper magazine - les plus belles grandes voies faciles : « L’intégrale d’Anaïs est une, si ce n’est, la plus belle grande voie des Pyrénées » que tout à commencé.
Nous avions déjà fait une première tentative avortée au deuxième ressaut en début d’année 2016. Sans réelle préparation, le tout en cordée de trois, équipés comme pour un voyage d’une semaine et avec des connaissances tout juste digérées sur les manipulations de cordes et techniques de grande voie.
À peine de retour au pied de cet échec, Jérôme - alias El Condor (rapport à l’envergure) - et moi - alias El Poulpo (rapport au gainage) - nous sommes fixés pour objectif d’en découdre avec Anaïs et de sortir l’intégrale par le haut.
Mais qui est donc cette Anaïs ?
C’est l’enchaînement de 3 voies pour 450 mètres en 12 longueurs. Le tout dans un niveau T.D. 6b+ maximum et 6a obligatoire (Topo d’Anaïs)
Pendant un an elle revenait régulièrement nous hanter et alimenter les discussions. Cependant nous n’osions jamais vraiment poser de date précise pour retourner la voir.
Histoire de provoquer un peu les choses, j’ai promis à Jérôme que je lui offrirai une nuit avec Anaïs comme cadeau de mariage. Autant dire qu’il a rapidement eu envie de déballer son cadeau.
Une semaine avant le week-end de l’ascension, il me lance : « Tu fais quoi le week-end prochain ? On va en Ariège ? » Et merde, j’ai tout de suite compris ce que cela signifiait et des images de parois rocheuses bien verticales se sont immédiatement rappelées à mon douloureux souvenir.
Toutefois, je n’ai pas hésité bien longtemps. On était prêts pour Anaïs, affutés et fraîchement sortis de la formation initiateur SNE (6b à vue ça rend euphorique, voire con), on connaissait la première moitié de la voie (les 6 premiers relais), on ne partirait que tous les deux, en réversible et en voyageant léger.
Y a plus qu’à
On réserve un logement et on décolle direction Sinsat le vendredi 26 mai 2017.
Passons les détails de notre folle et courte nuit dans le mobile home.
Réveille à 4h45
De l’orage est annoncé en milieu d’après midi et le topo indique 35 minutes de marche d’approche + 7 heures de grimpe + 2 heures 30 de descente.
On est super motivés pour être au pied de la voie avant 7h et à Ax-Les-Thermes pour s’hydrater (très important) vers 16h, en plus il y avait les 10 ans de l’Explo film festival ce week-end.
6h pétante, on attaque la marche d’approche
Marche d’approche qui vous réchauffe très rapidement malgré l’humidité matinale et vous fait regretter de ne pas grimper à Gavaudun.
Après bien 35 minutes dont une bonne dizaine dans un pierrier, on arrive devant le « Plaisir du geste », le timing est parfait.
Jérôme, en fin stratège, a prévu de s’élancer le premier afin de me laisser le plaisir d’ouvrir « Jeanne » 3 relais plus tard. Il part donc à froid dans un 6a en dalle sur trous qui finira de le réveiller.
Je prends le relais et continue ma route dans un 5c+ en dalle avec une petite ligne de faille le tout en traversée. Celles et ceux qui ont déjà passé une journée en falaise avec moi savent à quel point j’apprécie ce genre d’itinéraire.
Je reste collé, impossible de choisir entre traverser par le haut, ou par le bas. Jérôme m’engueule : « C’est que la deuxième longueur, faut randonner là ! ». Je me fais mal à la tête mais finalement je passe par le haut sans réelle difficulté. Juste un tout petit mental.
Le 5c qui suit est une jolie formalité qui nous amène directement au deuxième ressaut.
A peine le temps d’un pipi (la trouille), de grignoter un bout et d’admirer la vue, il est déjà 9h !
Si on met 1h par longueur, on est pas rentré.
C’est mon tour et pourtant je m’en passerais bien. La fameuse première longueur de Jeanne, le 6a+ dans lequel j’ai vu El Condor voler (oui, ce n’est pas que pour l’envergure) très longuement et plusieurs fois d’affilé l’année précédente.
Je prends mon temps, petit pas par petit pas. J’avance. J’ai du mal à le croire moi même mais je suis en train de l’enchainer. C’était un peu long, avec un clippage vraiment aléatoire mais c’est sorti. Wooohooooo ! Cette première victoire me remet méchamment en confiance au point que je ne réalise pas encore que j’y ai laissé énormément de jus.
Jérôme ne traine pas et me rejoins.
On pensait tous les deux que c’était un gros morceau de sorti. Erreur.
Le 6a qui suit n’est vraiment pas gagné. Dès le premier point Jérôme retombe à mon niveau sans que j’aie le temps de comprendre.
Ok, on va se concentrer un peu et sortir de là.
Après une belle bataille sur des micro grattons qui mâchent bien les doigts et les pieds, j’entends enfin le cri de victoire qui annonce mon départ imminent.
Fichtre, ils ne me faisaient pas aussi mal ces chaussons juste avant, si ?
Il commence à faire bien chaud et l’exposition plein sud ne nous aidera pas pour aujourd’hui. Les pieds gonflent et sont vite à l’étroit dans les chaussons. Ça commence à faire bien mal aux orteils pour charger dans ces dalles ariégeoises.
Je couine mais rejoins Jérôme puis poursuis dans un 5C dégueulasse.
En fait il y a juste un pas en 5c, un joli reta tranquille et la suite c’est du jardinage dans de la terre et du caillou péteux avec deux points qui se promènent. Une fois de plus, tout ce que j’aime et qui me met super en confiance.
Deuxième ressaut, c’est déjà midi.
On met donc bien 1h par longueur !!!
On profite du peu d’ombre que fournissent les quelques chênes verts présents pour se restaurer vite fait et surtout se rafraîchir.
C’est là que tout commence.
On y est. La Pelle se dresse devant nous.
Elle nous impressionne beaucoup moins que la première fois, mais nous jouerons tout de même la prudence pour aller chercher le relais en restant encordé.
Je ne dis pas grand chose, mais je souffre déjà énormément.
Jérôme toujours enthousiaste part dans la première des 6 dernières longueurs. Un dièdre en 5c avec des broussailles et du rocher un peu péteux.
De mon côté j’essaie d’oublier mes orteils en profitant du spectacle offert par les vautours percnoptère qui viennent en planant à ma hauteur puis repartent dans un battement d’ailes qui couvre enfin le bruit de la route quelques centaines de mètres plus bas.
A peine le temps de faire du tourisme que je dois repartir et là, El Condor m’a encore gâté avec un énorme dièdre déversant en 6a.
En temps normal c’est le genre de ligne que j’affectionne tout particulièrement, alors gaz !
D’ailleurs en parlant de gaz, on commence à bien le sentir, surtout dans ce genre de profil. Belle ambiance !
J’ai beau être matinal, j’ai vraiment super mal. Je sers les dents encore plus que les prises et avance. Arrivé au deux tiers de ce gros dièdre, la fissure s’écarte et là y a plus grand chose. J’essaierai trois, quatre fois le passage en renfougnant avec le sac qui frotte de partout, mais rien à faire. Plus de jus, les bras qui ouvrent et les pieds qui ne servent plus à rien. Je suis cramé.
Je suis à la fois frustré de ne pas y arriver et énervé de nous faire perdre du temps.
Jérôme mènera un beau combat au même endroit. Un peu plus lucide et mieux placé que moi, ça sort. Et je dois donc repartir dedans, youpi !
Je fais profile bas et continue tant bien que mal dans le 5b qui suit.
Je trouve ça super joli, une belle fissure à bras, ça tombe bien j’ai plus de pieds.
C’est censé être « facile » mais je suis au bout de mon effort, j’ai les tripes retournées depuis deux longueurs et commence à accuser le coup. C’est moche mais je tire au clou pour le reta de sorti.
Quand Jérôme arrive à mon niveau, il comprend que je ne suis vraiment pas bien.
Derrière nous on commence à voir l’orage monter, il doit être plus de 15h et il ne va pas falloir trainer.
J’ai à peine le temps de commencer à dire : « On est au milieu. 3 rappels ou 3 longueurs. Moi je suis mort et je ne pourrai plus rien ouvrir » que Jérôme me coupe avec autant d’amour qu’il sait en donner :
« Ah non Oliv’ on va pas branler, on est là, on sort par le haut cette putain de voie ».
D’habitude quand il m’engueule (oui ça arrive souvent), ça marche plutôt bien pour me galvaniser mais là je ne prends plus vraiment de plaisir et la souffrance à pris le dessus.
Il part dans le petit 5b+, il ne dit rien mais je vois bien que lui non plus n’arrive plus vraiment à poser les pieds.
Quelques longues minutes plus tard, la voilà enfin. L’avant dernière longueur en 6b+ ou 6a+/A0 d’Anaïs.
Depuis le relais on imagine très bien où se situe la difficulté, un toit à franchir. Pas énorme, mais après ce qu’on vient d’endurer, c’est pas gagné.
L’orage se rapproche et Jérôme part au mental dans cette ultime longueur. Juste avant le « crux » je l’entends ricaner et dire : « ah oui, je comprends ce que voulait dire Jean-Paul », moi pas vraiment, mais on a pas franchement le temps de taper la causette.
Il tente le pas une fois pour voir ce que ça donne, résultat : le condor prend son envol.
C’est alors qu’il redira pour la 42e fois son expression favorite : « On va pas branler » et il décide de tirer au clou pour nous sortir de là.
Je l’encourage car je n’ai qu’une envie : me barrer.
Il l’a fait !
Chapeau ! Du coup ça va être à mon tour… Mamaaaaaaaan, je veux pas !
« Olivier, tu réfléchis pas, tu tires à toutes les dégaines mais faut pas bran… »
… enfin vous avez compris l’idée.
Après une lutte acharnée et avoir tiré sur les 3 dégaines du toit, je le rejoins enfin.
« T’as vu la Pelle ? Y a du gaz ! » Bah non j’ai rien vu moi. Tellement focalisé sur la sortie et tellement vidé que mon champ de vision s’est réduit et ne je vois plus que mes mains en sang.
Il nous reste une toute petite longueur en 5c+ dans une fissure au rocher bien péteux à nouveau.
Jérôme ne traîne pas. D’ailleurs il essaiera de ne pas trainer pour ravaler les cordes non plus alors que je suis emmêlé dans un sac de nœuds et de torons. Décidément.
Je le rejoins comme je peux au relais.
D’un commun accord, je ne m’arrête pas. Je trace à la sortie pour aller voir comment ça se passe sur l’arrête, je veux partir d’ici.
C’est à peu près confort. Au pire on peut se tenir au paratonnerre si on a pas le pied montagnard.
Quoi ?! Un paratonnerre avec l’orage qui s’amène ! Là Jérôme a à nouveau sorti son expression favorite et m’a engueulé une fois de plus lorsque j’ai sorti le téléphone pour immortaliser l’instant.
17h30 : sommet !
On a plus une goutte d’eau et il nous reste deux heures et demi de descente. D’abord dans des buis puis rapidement dans des pierriers où il nous faudra retrouver le relais sur un arbre au niveau du Pubis pour les trois derniers rappels.
Assoiffés, on aurait bien aimé prendre l’orage finalement, mais non. Il a décidé de nous contourner.
2h30 de descente
C’est ce qu’annonce le topo. Sauf que pour nous, c’est le temps qu’on mettra uniquement pour trouver ce maudit rappel ! Complètement déshydratés, on ne devait plus vraiment être très lucides. Jérôme a même envisagé sérieusement de prendre le premier arbre venu.
20h15 on installe le premier rappel et on retrouve le sourire en se disant qu’on est bientôt en bas.
Sauf que c’était sans compter sur la Loi de Murphy :
« Tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal. »
En arrivant au bout du rappel Jérôme a pu découvrir que nos deux cordes ne faisaient pas la même longueur. Il faut rester vigilant jusqu’au bout. C’est juste mais finalement ça passe.
On descend les trois rappels telle la brigade d’intervention du Raid (en tout cas c’est ce qu’on croit) et arrive au pied de la voie à 21h.
Il nous reste « plus que » la marche d’approche ariégeoise. Chouette encore des pierriers.
On finira à la tombée de la nuit. Il est 22h on boit enfin des litres de flottes directement dans l’Ariège.
Pour la suite, nous avons trouvé un petite auberge tenue par d’authentiques ariégeois portugais qui festoyaient en famille et qui ont bien voulu nous servir une bière, puis de l’eau, puis une pizza, puis une autre bière, puis à nouveau de l’eau.
On refait le film de notre périple (à défaut de l’Explo film festival) pendant que l’on se restaure et le constat est partagé :
« On est pas des montagnards ».
Je suis ravi de l’avoir fait, mais je ne le referai pas.
Des grandes voies oui, mais dans des cotations plus abordables par rapport à mon niveau max ou alors de 3, 4 longueurs max.
Le lendemain, on est tout de même parti à Orlu enchainer quelques longueurs afin de goûter aux joies du granit.
Faut pas mollir !