Conception Web, UX et biais cognitif

Ne vous fiez pas aux apparences. Derrière un titre prédisposé à remplir une grille de bingo, il ne sera nullement question de reprendre afin de simplement paraphraser toute la littérature existante sur les biais cognitifs et leurs impacts à l’usage ou en conception Web.

Commençons tout de même par le commencement, la définition d’un biais cognitif :

Un biais cognitif est une distorsion dans le traitement cognitif d’une information. Le terme biais fait référence à une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité. Les biais cognitifs conduisent le sujet à accorder des importances différentes à des faits de même nature et peuvent être repérés lorsque des paradoxes ou des erreurs apparaissent dans un raisonnement ou un jugement. (source : Wikipédia)

Biais d’ancrage

Parmi la liste sans fin de biais, il en est un que l’on croise très fréquemment lorsque l’on fait de la conception Web : le biais ou l’effet d’ancrage.

En psychologie, l’ancrage désigne la difficulté à se départir d’une première impression. C’est un biais cognitif qui pousse à se fier à l’information reçue en premier dans une prise de décision. (source : Wikipédia)

Qui n’a jamais été confronté à une telle situation ? Que ce soit dans des paroles rapportées d’utlisateurs, de clients, de collaborateurs, d’intervenants directs ou indirects sur un projet, voire tout simplement dans nos propres paroles.

Connaître les biais est un bon moyen de les identifier et par conséquent de limiter leur portée.
On a beau le savoir et y être sensibilisé, les vieux poncifs sont là pour nous le rappeler : les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés.

Entorse et grosse frayeur

Pour appréhender tout ça plus clairement, laissez-moi vous conter une petite histoire. Une histoire d’escalade forcément.

Revenons en septembre 2015, à Saint-Géry dans le Lot (46)

Durant une très belle arrière saison, nous profitions de l’été indien pour nous rendre quasiment tous les dimanches sur la barre calcaire emblématique du Lot : Saint-Géry.

Cela ne fait pas longtemps que je pratique l’escalade et mon niveau est juste par rapport au spot. Cependant j’ai une furieuse envie de progresser et pour cela je sais, ou crois savoir, qu’il va falloir que je grimpe et grimpe encore.

Avant de pouvoir grimper, il faut accéder à la falaise

Et à Saint-Géry il y a une belle marche d’approche. Une bonne grosse demi-heure dans un sentier raide qui serpente du village jusqu’au pied des voies. Le tout bien entendu avec un sac de matos, bouffe et eau qui doit peser une douzaine de kilos et une corde qui doit en rajouter 3.

Ce matin-là, mon binôme officiel El Condor et moi ouvrons la marche. On est presque arrivé, la pente se fait moins raide, on discute, se taquine gentiment sur nos exploits passés tout en se projettant sur nos prochaines croix…
Je ne regarde plus où je mets les pieds, un caillou, une cheville. CRACK ! Quel con !

Je me pose quelques minutes et enlève la pompe pour voir ce qu’il y a à voir. Rien.
Je finis par repartir en évitant d’appuyer trop fort sur ce pied gauche.

Comme le pied est chaud et la falaise magnifique, je décide de ne pas trop y prêter attention, je strappe et grimpe comme si de rien n’était.

Un site magnifique, un temps propice et des potes

Que demander de plus pour passer une belle journée et avoir envie de se dépasser ?
Je profite de tout le bagage technique et physique accumulé cette année pour enfin valider le niveau que je recherchais en sortant un 6a à vue « Tombe la chemise » et un 6a+ flash « Toit par la gauche ». Ces jolies réalisations m’ont motivé et je ne pouvais pas m’arrêter en si bon chemin.

Toujours plus

Jean-Paul se propose de m’assurer dans « Le bonheur est dans la voie » mon premier 6b falaise en tête sans travail préalable.
Je stresse un peu mais j’y vais. C’est super fin, que des équilibres et donc des clippages super précaires. Je manque de me ramasser à chaque pose de dégaine mais finalement j’avance.
Dans ce niveau de difficulté on commence à approcher une autre dimension que je découvre juste : l’engagement mental. Autant dire qu’à Saint-Géry à partir de cette cotation, c’est sur ce point précisément que se joue souvent l’enchaînement d’une voie.

Plus je progresse sur la paroi, plus je me rends compte que les points sont espacés.
J’arrive à l’avant-dernier point, je viens de le clipper, je monte au niveau du point et observe le prochain. C’est super loin, je regarde le caillou et je ne vois rien alors je regarde à nouveau le prochain point et la distance à parcourir.
Je commence à trembler sur mes appuis. Le souffle est court, je suis quasiment en apnée, mon champ de vision se réduit. J’entends que mes camarades restés en bas m’encouragent et essaient de me donner des conseils mais je n’écoute pas. En tout cas c’est flou et je ne retiens que :

« Allez, vas-y grimpe ! »

Je commence à essayer de valoriser de toutes petites prises et finalement ça tient, je grimpe. Sans m’en rendre compte je suis arrivé au prochain et dernier point avant le relais. Je me surprends moi-même et relâche ma concentration. Je suis maintenant bien haut, au niveau du point, mais j’ai du mal à tenir les prises et il va pourtant falloir que je lâche une main pour clipper.

Je n’ai même pas le temps de l’envisager vraiment que les deux petites rougnes que je tenais du bout des doigts m’échappent. Je sais que je vais prendre un gros plomb mais je ne sais pas ce que ça fait !

I believe I can fly

Le rocher file sans fin devant mes yeux grands ouverts. J’ai l’impression que ça ne va jamais s’arrêter. Le brin de corde est tout mou devant moi. Je crois que je crie.

Et puis, plus rien. Tout est calme. Sans choc, sans accoup, tout s’est arrêté. Je n’ai rien, pas une égratignure, je n’ai rien tapé. Je suis suspendu dans le vide face à la paroi deux dégaines sous la dernière clippée. Joli vol bien dynamisé !

En bas tout le monde se marre et me chambre. Jean-Paul m’encourage à repartir directement. Avec le recul je sais qu’il avait raison, mais j’ai le cœur à dix mille et je veux retrouver le plancher des vaches.

The End

Je ne repartirai pas dans cette voie et dans aucune autre pour la journée, j’ai mon compte. Je me refroidis, remets les chaussures. Ah ! La marche de retour va être longue, j’ai la cheville qui tire méchamment et poser le pied est difficile.
Arrivé au parking, j’enlève à nouveau la pompe. Le pied commence à bleuir et à gonfler.

Entorse ligament externe, attelle 2 mois et 3 mois sans grimper. Fin de ma saison 2015 d’escalade.

Ça nous fait une belle jambe tout ça

Où est-ce qu’il veut en venir avec ses histoires de grimpette ?

Une dernière chose à savoir afin d’essayer de retomber sur nos pattes (humour : jambe, cheville, tout ça, tout ça) c’est tout simplement que ces trois mois sans grimpe furent une période très frustrante à gérer pour moi alors que j’étais en pleine progression dans ma pratique.

Par conséquent lorsque j’ai enfin pu grimper à nouveau j’avais très peur de me blesser et ne voulais surtout pas revivre cette abstinance forcée. Ce qui a eu pour effet une très grande appréhension de la chute en tête, je ne voulais surtout pas tomber à nouveau et prendre un gros vol.

Oh ! Mais que vois-je ? Ne serait-ce pas un biais ?

Et bien si. J’ai associé à ma frustration la première chose qui me venait à l’esprit quand je me remémorais cette journée. L’élément le plus marquant, le plus évident : la peur. La peur provoquée par la chute.

Sauf que vous l’avez bien compris, la chute n’y était pour rien dans la blessure qui était survenue le matin même lors de la marche.

🤯

J’ai mis du temps à le réaliser et encore plus à passer outre, mais le cerveau fait parfois des choses étranges.
Cet ancrage m’a demandé de mobiliser beaucoup de ressources pour revenir à une pratique sereine et un plaisir loin de toute peur (non ça ce n’est pas vrai). Surtout c’est un travail qui n’est jamais vraiment fini et ce type de raisonnement fallacieux peut resurgir sans prévenir, alors méfiez-vous des biais et d’autant plus si ce sont les votres.

Aller plus loin pour ne pas se prendre les biais dans le plat

Dans cette même histoire, on aurait très bien pû y voir d’autres biais, à vous de choisir et d’apprendre à les identitifer :

Beaucoup de personnes ont déjà traité et listé les biais alors n’hésitez pas à prendre le temps de lire tout ça :


P.S. Oui en 2015 j’ai assisté à Paris Web avec une attelle et des béquilles